Fake news : comment elles naissent, pourquoi elles circulent, comment s’en protéger

Fake news

À l’ère numérique, l’information voyage à la vitesse de la lumière. En un clic, une vidéo douteuse, une citation inventée ou une image détournée peut traverser les continents, s’imposer dans les discussions familiales, influencer des décisions politiques ou attiser des tensions sociales. Ces infox, ou fake news, sont les parasites d’un écosystème informationnel saturé, bruyant et souvent confus. Mais d’où viennent-elles ? Pourquoi prolifèrent-elles avec tant d’aisance ? Et surtout, comment développer une hygiène mentale capable de les débusquer ?

Petite histoire des fausses nouvelles

Les fausses nouvelles ne sont pas une invention de l’ère numérique. Déjà dans l’Antiquité, les rumeurs servaient d’outil politique : Octave accusait Marc Antoine d’avoir légué Rome à Cléopâtre dans des écrits fallacieux. Plus récemment, la « grande peur » de 1789 s’est nourrie de fausses alertes sur des brigands envoyés par l’aristocratie. La désinformation a toujours existé : elle change seulement de peau.

Ce qui distingue notre époque, c’est la vitesse et la massification : les réseaux sociaux, les algorithmes de recommandation et l’horizontalité de l’information abolissent les filtres traditionnels (journalistes, éditeurs, sources vérifiées). N’importe qui peut publier, relayer, amplifier. Le viralisme est devenu la norme.

Pourquoi les fake news circulent si bien ?

La désinformation prospère sur les émotions fortes : peur, colère, indignation, rire moqueur. Ces affects décuplent notre propension à partager sans réfléchir. Une étude du MIT a montré que les fausses informations sont 70 % plus retweetées que les vraies. Pourquoi ? Parce qu’elles étonnent, choquent, détonnent.

Les biais cognitifs en embuscade

Notre cerveau, paresseux par nature, adore les raccourcis. Voici quelques pièges cognitifs qui nourrissent les fake news :

  • Biais de confirmation : on croit plus volontiers ce qui conforte nos opinions.
  • Effet de vérité illusoire : une information répétée semble vraie.
  • Biais d’autorité : si quelqu’un de « crédible » partage, on suit sans vérifier.
  • Biais d’ancrage : la première info qu’on lit influence notre jugement, même si elle est fausse.

L’algorithme, cet amplificateur invisible

Les plateformes numériques ne sont pas neutres. Leurs algorithmes favorisent les contenus engageants… donc souvent polarisants. Une info sensationnaliste aura plus de chances d’apparaître dans votre fil d’actualité qu’une analyse pondérée. Cette logique de l’attention crée des bulles informationnelles, ou echo chambers, dans lesquelles les fake news peuvent se développer sans contradiction.

Les multiples visages de la désinformation

Toutes les fausses nouvelles ne se ressemblent pas. On distingue plusieurs types :

  • La satire mal interprétée (ex. : articles de parodie pris au sérieux)
  • Le contenu décontextualisé (images vraies, mais sorties de leur contexte)
  • La fabrication pure et simple (faits inventés de toutes pièces)
  • La manipulation visuelle (deepfakes, photomontages)
  • Le mensonge stratégique (instrumentalisation politique, économique ou idéologique)

Qui fabrique les fake news, et pourquoi ?

Les motivations sont multiples :

  • Financières : générer du clic, donc de la publicité. Exemple : les usines à clics de Macédoine du Nord pendant l’élection américaine de 2016.
  • Politiques : influencer des élections, semer la confusion ou déstabiliser un adversaire.
  • Ludiques ou trollesques : pour se moquer, piéger les crédules, semer le chaos.
  • Idéologiques : renforcer une vision du monde, défendre une cause, attaquer un ennemi.

Enjeux éducatifs et sociétaux

Lutter contre la désinformation, un enjeu démocratique

La prolifération des fake news menace la qualité du débat public. Elle entretient la méfiance envers les institutions, encourage la radicalisation et érode le socle commun de réalité. Savoir trier le vrai du faux est devenu une compétence citoyenne essentielle.

L’éducation aux médias : une urgence

Dès le plus jeune âge, il est crucial d’enseigner les bases de la littératie numérique : distinguer une source, comprendre le fonctionnement des algorithmes, détecter les biais, vérifier une image. L’esprit critique ne s’improvise pas, il s’apprend.

Vers une guerre d’influence automatisée ?

L’IA et les deepfakes : nouveau terrain de jeu

Les progrès de l’intelligence artificielle permettent de générer des voix, des visages, des vidéos entières d’apparence authentique. Cette nouvelle ère ouvre la porte à des manipulations massives, imperceptibles à l’œil nu. Détecter ces faux exigera bientôt des outils tout aussi sophistiqués.

Régulation, transparence, responsabilité

Les États et les plateformes doivent travailler ensemble pour responsabiliser les émetteurs, alerter les utilisateurs et couper la circulation des contenus toxiques. La modération automatique, les labels de vérification ou les ralentisseurs de partage (friction) sont autant de pistes explorées.

Deepfakes : l’illusion parfaite ?

Les deepfakes sont des vidéos, images ou sons générés par intelligence artificielle qui imitent à la perfection des visages, des voix ou des mouvements humains. Grâce à des algorithmes de deep learning, il devient possible de faire dire n’importe quoi à n’importe qui… avec un réalisme troublant.

Pourquoi c’est problématique :

  • Manipulation politique : un faux discours attribué à un dirigeant peut déclencher un scandale voire une crise.
  • Chantage et harcèlement : des visages sont intégrés à des vidéos compromettantes.
  • Érosion de la confiance : si tout peut être truqué, plus rien ne semble vérifiable.

Comment les repérer ?

  • Incohérences visuelles : clignements des yeux irréguliers, lumière mal répartie, flou autour des lèvres.
  • Analyse technique : outils comme Deepware Scanner, Sensity AI ou Microsoft Video Authenticator.
  • Croisement des sources : si une vidéo choc n’est relayée par aucun média fiable… méfiance.

Que faire ?

  • Signalez toute vidéo suspecte sur les plateformes.
  • Partagez avec précaution : mieux vaut ne rien relayer que contribuer à la viralité d’un faux.
  • Restez informé : la technologie évolue, les outils de vérification aussi.

Le vrai défi des années à venir ? Savoir douter des images… sans douter de tout.

Comment vérifier une vidéo avec InVID en 5 étapes

1. Installer le plugin InVID WeVerify

Rendez-vous sur le Chrome Web Store.

Téléchargez et installez l’extension InVID & WeVerify sur le navigateur Chrome.
Elle s’ajoute à votre barre d’outils sous forme d’icône.

2. Lancer l’analyse de la vidéo

  • Copiez l’URL de la vidéo suspecte (YouTube, Facebook, Twitter, etc.)
  • Cliquez sur l’icône InVID dans votre barre de navigateur
  • Allez dans l’onglet “Video Analysis”
  • Collez l’URL dans le champ, puis cliquez sur “Submit”

InVID ne fonctionne pas sur TikTok ou Instagram si la vidéo est privée ou intégrée (mais des captures d’écran peuvent être utilisées via l’onglet « Image analysis »).

3. Extraire les miniatures (keyframes)

Dans l’analyse, cliquez sur “Keyframes” pour obtenir plusieurs images extraites automatiquement de la vidéo.

Objectif : utiliser ces images pour vérifier si elles existent déjà ailleurs (preuve d’un recyclage ou d’une vidéo détournée).

4. Faire une recherche inversée sur les images extraites

  • Pour chaque image, cliquez sur les icônes Google, Bing, Yandex ou TinEye.
  • Analysez où et quand ces images ont déjà été publiées.

Si les images apparaissent dans des contextes plus anciens ou différents, la vidéo est probablement trompeuse ou sortie de son contexte.

5. Utiliser les outils complémentaires

InVID intègre aussi :

  • YouTube Data Viewer : pour voir la date réelle de publication et les vignettes YouTube.
  • OCR : pour extraire les textes visibles dans la vidéo.
  • X/Twitter Monitoring : pour rechercher les vidéos similaires sur X/Twitter.
  • Metadata Viewer : pour explorer les métadonnées (si elles sont encore présentes).

Comment vérifier une photo en 5 étapes

1. Faire une recherche inversée d’image

  • Google Images : cliquez sur l’icône appareil photo, puis collez l’URL ou importez l’image.
  • TinEye : explore l’historique de publication d’une image sur le web.
  • Yandex Images : parfois plus performant pour les visages et scènes d’actualité.

Objectif : retrouver les premières occurrences de l’image, identifier le contexte original.

2. Vérifier la date de publication

Comparez la date de diffusion de l’image avec celle de l’événement qu’elle prétend illustrer.

Une image d’un séisme peut en réalité dater d’une autre catastrophe des années auparavant.

3. Chercher les sources crédibles

L’image a-t-elle été reprise par un média fiable ? Existe-t-il un crédit photo (AP, AFP, Reuters) ?

Des sites de fact-checking comme AFP Factuel, Les Décodeurs, ou Snopes l’ont-ils déjà analysée ?

4. Inspecter les détails visuels

  • Ombres incohérentes ?
  • Détails flous ou déformés ?
  • Éléments anachroniques (drapeaux, vêtements, architecture…) ?

Utilisez des outils comme Forensically pour détecter d’éventuelles retouches.

5. Consulter les métadonnées

Avec un outil comme Metadata2Go ou ExifTool, vérifiez :

  • Date de prise de vue
  • Appareil utilisé
  • Lieu (géolocalisation GPS)

Attention : ces données peuvent être effacées ou modifiées, mais elles restent utiles quand elles sont présentes.

Trois mensonges qui ont fait le tour du monde

1. Les armes de destruction massive en Irak (2003)

Une fake news d’État aux conséquences géopolitiques

En 2003, les États-Unis, soutenus par le Royaume-Uni, justifient l’invasion de l’Irak en affirmant que Saddam Hussein détient des armes de destruction massive (ADM). Cette affirmation, relayée par les grandes agences de presse et reprise sans recul, s’avérera totalement infondée.

Résultat : une guerre prolongée, des milliers de morts, et une méfiance durable envers les gouvernements et les médias.

Leçons : même les institutions les plus officielles peuvent diffuser des informations erronées. La vigilance s’applique aussi aux discours d’autorité.

2. Le Pizzagate (2016)

Quand une théorie conspirationniste mène à la violence

Durant la campagne présidentielle américaine, des internautes propagent la rumeur selon laquelle Hillary Clinton serait liée à un réseau pédocriminel opérant depuis une pizzeria de Washington. Aucun élément tangible ne vient appuyer cette accusation… mais cela n’empêche pas un homme armé de pénétrer dans l’établissement pour « libérer les enfants ».

Aucun blessé, mais une démonstration glaçante de la puissance des rumeurs nées en ligne.

Leçons : une fake news partagée dans des groupes fermés peut devenir réalité physique. Le conspirationnisme numérique est une menace réelle.

3. Le vaccin contre le Covid-19 et la puce 5G

Une fausse rumeur mondiale à l’ère de la pandémie

Pendant la crise sanitaire du Covid-19, une rumeur grotesque se propage : les vaccins contiendraient une puce 5G permettant de contrôler les individus. Malgré son absurdité scientifique, cette fausse information circule massivement, parfois relayée par des personnalités influentes.

Résultat : méfiance envers la vaccination, protestations publiques, et un ralentissement de la couverture vaccinale dans certains pays.

Leçons : dans un climat anxiogène, les fake news trouvent un terrain fertile. La pédagogie scientifique et la transparence deviennent vitales.

Trois cas concrets pour comprendre la puissance (et le danger) des deepfakes

1. Barack Obama insulte Donald Trump (BuzzFeed, 2018)

Un faux président pour une vraie alerte

En 2018, BuzzFeed publie une vidéo troublante où l’ancien président Barack Obama traite Donald Trump de « total dipshit ». La vidéo est un deepfake volontairement créé pour sensibiliser le public aux dangers de cette technologie. L’imitation est bluffante, doublée par la voix de l’acteur Jordan Peele.

Objectif : démontrer la facilité avec laquelle on peut manipuler les propos de figures publiques.

2. Tom Cruise sur TikTok (2021)

La star qui n’était pas elle-même

En 2021, plusieurs vidéos TikTok montrant l’acteur Tom Cruise en train de jouer au golf ou de plaisanter dans un couloir deviennent virales. Mais il s’agissait d’un deepfake ultra-réaliste, conçu par le créateur @deeptomcruise avec l’aide d’un imitateur vocal et d’un algorithme de superposition faciale.

Effet : des millions de vues et un débat sur la confusion entre réalité et fiction sur les réseaux sociaux.

3. Zelensky appelle à déposer les armes (2022)

Une arme numérique dans la guerre en Ukraine

En mars 2022, au début de l’invasion russe de l’Ukraine, une vidéo circule montrant le président ukrainien Volodymyr Zelensky demandant à ses troupes de se rendre. Il s’agissait d’un deepfake grossier mais diffusé sur des sites piratés, y compris sur la télévision ukrainienne.

Impact : bien que rapidement démasqué, l’exemple montre comment les deepfakes peuvent être utilisés comme outils de guerre psychologique et de désinformation tactique.

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